Les deux journalistes de La Campagne à vélo ont rencontré en
Haute-Marne
Jacky et Sylvette. Ouvriers à la retraite, ils votaient
PC, ils vont voter FN.
Sylvette a préparé une tartiflette avec les pommes de terre
roses de leur jardin ouvrier.
Rien n'a changé depuis ma dernière
visite : le paysage alpin imprimé sur puzzle
trône toujours
au dessus du canapé, le sabre d'officier de cavalerie légère
de
Châlons-sur-Marne datant de la guerre de 70, son objet le plus
cher que Jacky
a trouvé sur les bords du canal, domine la cheminée
décorative.
Bruno, leur fils aîné de 42 ans, n'a pas
quitté le foyer familial
et dîne toujours à la place
près de l'évier dans la cuisine.
« Les ouvriers marchaient main dans main »
Jacky et Sylvette vivent une retraite solitaire dans leur petit pavillon
de Marnaval,
dans la banlieue de Saint-Dizier (Haute-Marne). Leur carrière
ouvrière commencée
dès l'âge de 14 ans s'est
terminée il y a peu, après 45 ans de bons et loyaux services.
Témoins de la disparition progressive du monde ouvrier,
ils portent
un regard nostalgique sur leurs années passées à la
chaîne de l'usine Miko
pour Sylvette et sur les machines de la tréfilerie
de Marnaval pour Jacky :
« A l'époque, les ouvriers marchaient main dans la main.
C'est fini tout ça !
De toute ma carrière je n'ai connu
que deux bons patrons, ils venaient nous dire bonjour,
les autres ça
traversait et puis c'est tout ! »
Jacky et Sylvette s'ennuient. Surtout Sylvette
Ils ne fréquentent pour ainsi dire plus personne. Les amis de
l'usine,
pour beaucoup algériens ou turcs,
vivent de l'autre côté d'une
ville coupée en deux, au quartier du Vert-Bois.
Ils n'y vont jamais,
trop inquiets par les nouvelles dramatiques distillées
par le quotidien
local
ou le journal télévisé national en périodes
d'émeutes
ou de voitures brûlées.
Jacky et Sylvette s'ennuient, surtout Sylvette qui n'a pas la passion
de la pêche que son époux pratique tous les week-ends avec
Bruno :
« On part toujours en Bretagne pour les vacances.
J'aimerais faire
un voyage vers un pays ensoleillé mais le Jacky refuse de prendre
l'avion.
Le week-end, pendant qu'ils vont à la pêche, je
passe mon temps à faire le ménage.
En semaine, c'est la
bouffe. »
Jacky a la chique coupée, rendu penaud par les mots de son épouse.
Il bougonne des paroles incompréhensibles. Pendant ce temps, BFM-TV
rend compte
de la campagne présidentielle en cours avec Eva Joly
qui apparaît à l'écran.
Sylvette brise le long silence provoqué par sa confession sur
les loisirs et le bonheur :
« Non mais regarde-moi ça ! Eva Joly ! Eva la moche tu veux
dire !
Tu as vu le manteau qu'elle porte ? Et son visage ? Même
pas maquillé !
Elle pourrait quand même se faire ravaler
la façade pour passer à la télé. »
« Le nain de jardin ne tient pas ses promesses »
Soulagé de voir la conversation dériver sur le terrain
politique,
Jacky en rajoute sur le « nain de jardin qui ne tient
pas ses promesses »,
« le fromage de Hollande qui ne les tiendra
de toute façon pas » et de conclure :
« On en a marre des autres et puis c'est tout. »
J'éprouve un soulagement que la question de l'immigration n'ait
pas été abordée
de toute la soirée. Peine
perdue : c'est au moment de partir, le lendemain matin
que Sylvette aborde
le sujet de peur que nous ayons mal cerné leur opinion
sur ce thème,
entendue tant de fois depuis notre départ de Paris :
« Il y en a trop, c'est nous qui payons. »
JACKY ET SYLVETTE, OUVRIERS À LA RETRAITE
Anciens communistes désormais électeurs du Front national
Il y a cinq ans, quelques semaines avant la dernière élection
présidentielle,
Jacky m'évoquait soudainement son souvenir
de l'assassinat de Kennedy,
le 22 novembre 1963 :
« Il était 8 heures du soir, j'étais à l'usine
lorsqu'on a appris la nouvelle. »
Et il ajoutait :
« Si Kennedy était français et s'il était
vivant, je voterais pour lui. »